La Russie

Un pays aux milles visages

   
   
 
 

 Énergie, finances, politique internationale, la Russie vingt ans après :

Une économie redressée, des comptes publics assainis, une influence à reconstruire, tels sont les points clés de la Russie de 2011.(Source : La tribune : François Roche - 01/11/2011).

1/ Elle a reconstitué sa puissance énergétique et minière

La remontée des cours du pétrole, à la fin des années 1990, a sauvé la Russie du désastre. En décembre 1998, le pétrole cotait moins de dix dollars le baril. En juin 2008, lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, les cours mondiaux frôlaient les 145 dollars, recordabsolu à ce jour, qui sera atteint en Asie le 3 juillet. À la tribune du Forum, Alexeï Miller, patron de Gazprom, devant tous les grands patrons des compagnies pétrolières mondiales, joue les devins et anticipe déjà que l’or noir sera à 200 dollars en décembre et que la Russie sera alors en situation de domination totale du marché. Il allait un peu vite en besogne, comme la suite des événements l’a prouvé. Mais le fait est qu’en un peu plus d’une d izaine d’années, la Russie a reconstitué son potentiel de production, restructuré son offre autour de deux acteurs publics majeurs, Gazprom et Rosneft, et de compagnies privées solides et performantes, comme Lukoil, TNK-BP, Surgutneftegaz, Novatek (au passage, deux compagnies emblématiques des années Eltsine, Yukos et Sibneft ont disparu du paysage. La première, propriété de Mikhaïl Khodorkovsky, emprisonné depuis près de dix ans dans les conditions que l’on connaît, a été « acquise » de force par Rosneft en 2004, la seconde, créée par Boris Berezovsky et Roman Abramovich, a été rachetée en 2009 par Gazprom). Dans le domaine minier, les privatisations douteuses des années 1995-1997 ont finalement donné naissance à des groupes de dimension mondiale, commeNorilsk, propriété de Vladimir Potanine, premier producteur mondial de nickel, Rusal, détenu par Oleg Deripaska, premier producteur mondial d’aluminium. Le secteur des mines est contrôlé par quelques entrepreneurs qui les ont acquises au début des années 1990, comme dans le charbon ou le cuivre. Ces entreprises sont pour la plupart cotées, exercent désormais leurs activités à l’échelle internationale, explorent les nouveaux marchés en Asie et en Afrique. Le souvenir des guerres d’actionnaires des années 1990-2000 s’estompe, même si tout n’est pas encore tout à fait clair dans le contrôle effectif de ces grandes entreprises russeset si des actions judiciaires sont encore en cours ici ou là, pour tenter de démêler les conflits entre telle ou telle structure offshore. Le mot d’ordre lancé par Vladimir Poutine au début de son premier mandat, exhortant les oligarques à s’occuper de leurs affaires plutôt que de celles de l’État, a provoqué leur désertion quasi totale du terrain politique et leur a commandé d’établir avec la « poutinie » des relations étroites, non dénuées de brutalité parfois, mais qui, dans l’ensemble, n’ont pas provoqué une déstabilisation de leur situation capitalistique ou financière. Durant la crise de 2008, l’État russe a même mis tout en oeuvre pour que les groupes les plus endettés commeRusal soient en mesure de trouver des refinancements et ne tombent pas sous la coupedes banques étrangères, comme le risque en a couru concrètement pour certains d’entre eux.

 

2/ Elle s’est désendettée, a reconstruit une autonomie financière mais n’a pas diversifié son économie

La manne pétrolière qui a couvert la Russie de bienfaits à partir du début des années 2000 aurait pu, compte tenu des spécificités locales et du haut niveau de corruption des élites, être dépensée de façon dispendieuse et peu judicieuse. Globalement, la sagesse l’a emporté, en dépit des pressions de certains gouverneurs de région, grâce à l’influence d’un ministre des Finances proche de Vladimir Poutine, Alexeï Kudrin, qui vient de démissionner de ses fonctions à la suite de son désaccord sur les priorités du budget 2012. Kudrin a constitué plusieurs fonds destinés à recueillir une partie des produits de la fiscalité pétrolière, dont le montant, avant la crise, avoisinait les 300-350 milliards de dollars (qui ont notamment permis à la Russie de rembourser en 2006 plus de 23 milliards de dollars de dette soviétique au Club de Paris et ont amorti le choc budgétaire des années 2008 à 2010). Ses réserves de change se situent aux alentours de 500 milliards de dollars, même si, depuis mai dernier, la Banque centrale doit défendre la valeur du rouble, à cause de la baisse des cours du brut. Naturellement, les excédents budgétaires des années 2003-2007 ne sont plus là, mais la Russie dispose d’une bonne marge de manoeuvre financière, compte tenu de son faible endettement. Les grands équilibres financiers sont donc rétablis, depuis la grande crise de 1998. Mais la Russie demeure trop dépendante de l’énergie, des matières premières et des industries de transformation. Les efforts déployés depuis une dizaine d’années pour reconstruire le secteur aéronautique n’ont pas entièrement porté leurs fruits, à l’exception de l’espace où l’Agence spatiale russe a réussi à convaincre Arianespace d’utiliser son lanceur Soyuz pour placer sur orbite des satellites à partir de la base de Kourou (le premier lancement s’est d’ailleurs réalisé avec succès le 21 octobre dernier). Cette monoculture énergétique est une faiblesse pour l’économie russe, dont les dirigeants sont apparemment conscients si l’on en juge par les discours récents qu’ils ont tenus à ce sujet.

 

3/ Elle cherche à constituer un pôle de développement autonome alors que son influence s’estompe dans l’ancienne zone soviétique

Pour l’exécutif russe, tout au long des années 2000, le redressement économique devait accompagner un retour de la Russie sur la scène internationale. L’invitation faite à Moscou de prendre part aux travaux du G8 participait de cette volonté, tout comme les nombreusesdéclarations de Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev sur le rôle que la Russie entendait jouer dans les grands équilibres mondiaux, leur proposition de faire du rouble une monnaie de réserve, leur activisme au sein du club informel des BRICS. Le Kremlin a aussi tenté de préserver son « pré carré » en Asie centrale et dans la zone de la mer Noire. Cette stratégie n’a pas connu un franc succès jusqu’à maintenant. Force est de reconnaître que les républiques d’Asie centrale ont voulu prendre leur autonomie face à Moscou et qu’elles sont aujourd’hui courtisées par la Chine qui y a établi des relations commerciales très suivies et y a engagé plusieurs projets de grandeampleur en matière d’infrastructures énergétiques, notamment au Turkménistan. La création de l’Organisation de coopération de Shanghai, en juin 2001, rassemblant la Russie, les pays d’Asie centrale et la Chine, devait assurer la continuité de l’influencerusse en Asie. Elle a plutôt consolidé celle de la Chine dans la région. Dans les années qui viennent, beaucoup dépendra de la nature des relations entre la Russie et la Chine et de la volonté des deux pays de construire ensemble un pôle de développement à l’est du monde, entraînant avec eux des pays aux limites de l’Europe et de l’Asie comme la Turquie, voire l’Iran. Pour autant, les dirigeants russes savent aussi que leurs liens avec l’Europe sont essentiels, notamment dans le domaine énergétique.
Ainsi, en vingt ans, la Russie s’est surtout reconstruite de l’intérieur. Tout ou presque reste à écrire quant à son rôle dans le monde de demain, qu’il s’agisse des nouvelles technologies, des équilibres énergétiques mondiaux, des relations entre l’Ouest et l’Est, de ses liens avec l’Europe ou de son modèle politique et territorial…

 

 Natalia Orlova : "L'avantage de la Russie, c'est le très faible endettement de l'État et des ménages":

Les bonnes stratégies pour diversifier l'économie ?

 

La diversification de l'économie n'est plus une priorité aujourd'hui, parce que nous entrons dans une période de gestion des risques. Il faut désormais se préparer à une période de croissance faible où il y aura une grande compétition autour du consommateur final. La diversification était une priorité à un moment où la croissance était forte. Désormais, il faut gérer l'épargne de l'État, le fonds de stabilisation et les réserves de devises. Il est nécessaire aujourd'hui de stimuler la croissance des investissements et la consommation des ménages.

Considérez-vous, comme l'ancien ministre des Finances Alexeï Kudrin, que les dépenses publiques consacrées à la défense sont exagérées et qu'elles se font au détriment des dépenses sociales, de l'éducation et de la santé ?

C'est vrai qu'il y a des risques que l'augmentation
des dépenses militaires accapare les ressources de l'État en bloquant l'amélioration des autres services. Je constate un certain flou dans les priorités de l'État.

Existe-t-il un risque de déficit budgétaire important ?

C'est un risque uniquement à long terme parce que la dette russe ne représente que 10 % du PIB, dont 3 % de dette extérieure et 7 % de dette domestique. C'est un niveau très faible. Tout dépendra du niveau du baril de pétrole, car les hydrocarbures pèsent pour 50 % de l'ensemble des recettes budgétaires au niveau fédéral. S'il y a une bonne gestion des prix par les pays producteurs de pétrole, le risque restera faible.

La Russie est souvent considérée comme un « pays à fort risque » pour les investisseurs. Cette réputation est-elle selon vous justifiée ? Et quels secteurs vous semblent les plus attractifs pour les investisseurs étrangers ?

Oui, il y a des risques, mais la Russie offre aussi un important potentiel en termes de demande des consommateurs et de croissance. L'avantage de la Russie est précisément le très faible endettement de l'État et des ménages, y compris par rapport aux autres pays émergents. Le risque, c'est que cette demande soit satisfaite par une augmentation des importations et non par la production domestique. Notre pays connaît un gros problème de productivité et de compétitivité, bien plus aigu que la question de la diversification. Les secteurs les plus attractifs pour les investisseurs étrangers sont ceux directement exposés aux consommateurs finaux. Si vous en êtes éloigné, vous vous retrouvez dans des secteurs où les acteurs étatiques ont trop de poids, et vous êtes contraint de trouver des niches.

L'éventuelle entrée de la Russie dans l'Organisation mondiale du commerce va-t-elle significativement changer la donne ?

L'entrée dans l'OMC est une étape importante pour l'intégration du pays dans l'économie mondiale. C'est un indicateur très intéressant pour les investisseurs étrangers. En réalité, cela ne change pas grand-chose, hormis le fait que cela créera des opportunités pour le transfert de technologies vers la Russie. Cela permettra une régulation plus stricte du marché domestique russe et promouvra un autre modèle de croissance avec une réduction du rôle de l'État dans l'économie. Mais l'entrée dans l'OMC a peu de chance d'avoir lieu avant les élections car elle suscite la crainte d'une augmentation du chômage. Par conséquent, cette perspective d'entrée ne rapportera de voix à personne.

 

 

 
 
 
 

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