La Russie

Un pays aux milles visages

   
   
 
 

 Histoire d'une reconstruction économique et financière :

Entre l'URSS et la Russie d'aujourd'hui, on trouve des crises, des privatisations, la rente pétrolière, des oligarques, le Kremlin et un retour sur le devant de la scène. Un scénario dont la conclusion est encore à écrire. (Source la tribune : François Roche - 01/11/2011, 14:06)

Vladimir Poutine Il va tenter de restaurer l'autorité du pouvoir sans tuer les réformes économiques. Mais sa chance historique sera la hausse des cours du brut, sans laquelle tout redressement aurait été impossible. / Mikhaïl Gorbatchev Il voulait réformer le système soviétique, il n'a rien pu faire pour en stopper le délitement et la chute, au terme d'une terrible année 1991. / Boris Eltsine Il restera dans la longue histoire de la Russie comme le premier « tsar » à avoir été élu au suffrage universel, mais sa thérapie de choc allait conduire le pays dans l'impasse.

Vingt ans, c'est court pour juger du destin d'une nation. C'est pourtant l'âge officiel de l'actuelle Fédération de Russie qui, dans les derniers jours du mois de décembre1991, remplace l'Union Soviétique défunte dans l'ensemble de ses pouvoirs, prérogatives et propriétés, exception faite bien sûr des anciennes républiques. Cette année 1991 est décisive. Elle vient clôturer un épisode au cours duquel les efforts de Mikhaïl Gorbatchev depuis 1985 pour « réformer » le système soviétique échouent. En janvier 1991, le rouble n'est plus la monnaie de transfert du Comecon, qui disparaît donc de facto en tant que zone économique commune ; en avril, le pacte de Varsovie est dissous ; en juin, pour la première fois dans l'histoire du peuple russe, son chef, Boris Eltsine, est élu à la présidence de la Russie au suffrage universel ; le 18 août, un putsch fomenté par le vice-président de l'URSS et le chef du KGB tente de renverser Gorbatchev avant de s'achever piteusement quelques jours plus tard ; le 27 août, la Moldavie est la première des républiques non baltes à proclamer son indépendance et toutes les autres feront de même en quelques semaines ; le 8 décembre, sans Mikhaïl Gorbatchev, les républiques slaves (Russie, Ukraine et Biélorussie) signent à Minsk un accord créant la CEI que les républiques d'Asie centrale rejoignent le 16 décembre ; le 18 décembre, Boris Eltsine annonce, en accord avec Mikhaïl Gorbatchev, que le Kremlin et tous les biens de l'administration soviétique, toutes les réserves financières passent sous le contrôle de la Russie. C'en est fini de l'URSS. Et la CEI, censée lui succéder afin d'assurer la continuation de liens institutionnels, politiques et économiques entre les anciennes républiques, ne jouera quasiment jamais ce rôle.

 

 Fonctionnement de l'économie paralysé :

En 1991, la Fédération de Russie, sur le plan financier, est au plus mal. Certes, elle n'a pas à supporter les 62 milliards de dollars de dette soviétique sur laquelle l'URSS a fait prudemment défaut le 6 décembre 1991 (cette dette, restructurée et ré-échelonnée sous l'égide du Club de Paris, sera réglée en partie par la Russie de Vladimir Poutine). L'industrie pétrolière est à la dérive : la production passe de 12,5 millions de barils/jour en 1988 à moins de 10 millions entre 1991 et 1992. Le fonctionnement de l'économie est paralysé par la disparition des structures soviétiques qui géraient l'ensemble des relations entre les entreprises, l'État et les pays étrangers, dans un système où le « cash » n'existait quasiment pas. L'État est à peine en mesure de payer les salaires des fonctionnaires et de verser les pensions de retraite. Les réserves de devises couvrent deux mois d'importations, les magasins sont vides, les produits de base rationnés. La seule lueur d'espoir réside dans le raz de marée des « coopératives », ces structurespréfigurant l'entreprise privée dont Mikhaïl Gorbatchev avait autorisé la création à la fin des années 1980.
L'option prise alors par Boris Eltsine est radicale : la thérapie de choc, la rupture brutale et immédiate avec l'économie centralisée, la privatisation quasi intégrale de l'économie russe avec la distribution à tous les citoyens de « bons de privatisation », puis, à partir de 1993, le lancement de la privatisation des grandes entreprises du secteur pétrolier, le fameux programme « prêt contre actions » de 1995, qui permit à quelques jeunes banquiers et financiers entreprenants de s'approprier les fleurons industriels de l'ère soviétique dans le pétrole, les mines, la sidérurgie, l'industrie lourde. Le ministère du Gaz est transformé en société par actions, sous le nom de Gazprom, et son capital est ouvert à quelques personnalités influentes des cercles eltsiniens. La suite appartient désormais à l'histoire économique. Cette thérapie est un échec sur le plan social et des finances de l'État. Elle a consisté à déréglementer un système économique étatique sans créer auparavant les conditions techniques, juridiques, financières de cette dérégulation. Elle a déplacé brutalement la richesse de l'État vers les acteurs privés, alors que la bataille politique faisait rage entre Boris Eltsine et ses opposants communistes, qui auraient peut-être remporté les élections présidentielles de juillet 1996 sans une mobilisation massive de ceux que l'on appelait alors les « oligarques » autour du Président, notamment Boris Berezovsky, aujourd'hui banni de la Russie de Vladimir Poutine et en exil à Londres.
Cette gouvernance de l'État et des finances totalement défaillante aboutit à la crise financière de 1998, qui se traduit par une dévaluation massive du rouble et un défaut de la Russie sur sa dette domestique, en dépit d'une aide de plus de 20 milliards de dollars du FMI. Cette crise est un tournant dans la transition russe comme l'ont parfaitement démontré les travaux de l'économiste Jacques Sapir. Elle conduit un an plus tard à l'éviction, organisée par ses proches,de Boris Eltsine du pouvoir, à l'accession aux plus hautes fonctions d'un ancien membre du KGB, ex-collaborateur d'Anatoli Sobtchak à la mairie de Saint-Pétersbourg, entre 1990 et 1995, et qui, à l'époque dirigeait les nouveaux services de sécurité russes, le FSB : Vladimir Poutine.

 Poutine, produit des années 1990 :

 

Boris Eltsine a su incarner le double rêve de l'indépendance et de la liberté d'opinion en Russie, mais il a échoué dans la conduite opérationnelle du pays, dans un contexte économique et financier il est vrai difficile. En 2000, Vladimir Poutine accède à la présidence de la Fédération de Russie. Il est inconnu du public dans son propre pays, à plus forte raison à l'étranger. On sait de lui qu'il est un serviteur zélé de l'État, qu'en tant que patron du FSB, il a sauvé Boris Eltsine et ses proches des enquêtes pour corruption du procureur général de Russie, Yuri Skuratov. Le carnet de route que lui fixe l'entourage d'Eltsine est simple : ne rien changer, continuer comme avant, préserver les intérêts des oligarques. En Europe, les « soviétologues» le comparent alors à Yuri Andropov, patron du KGB entre 1967 et 1982 (de loin le plus long mandat jamais accompli par un patron des services secrets soviétiques), et qui accéda à la tête de l'URSS en 1982, avant de disparaître quatorze mois plus tard sans avoir pu esquisser la vraie réforme de l'URSS qu'il ambitionnait.
En réalité, comme il le démontrera très vite, Vladimir Poutine n'est pas l'héritier de l'ancien chef du KGB. Il est le produit de son époque, les années 1990, marquées en Russie par le désordre politique et la paupérisation économique. En quelques mois, il prendra la mesure de la situation, écartera du pouvoir les anciens amis d'Eltsine, et s'attellera à la tâche que lui et ses amis, ex-hauts fonctionnaires du KGB, anciens collaborateurs de la mairie de Saint-Pétersbourg, relations d'affaires de la capitale du Nord, estiment essentielle : restaurer l'autorité de l'État, poursuivre l'ouverture de la Russie à l'économie mondiale en reprenant la main par rapport à l'influence des oligarques, notamment dans le secteur énergétique.

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