La Russie

Un pays aux milles visages

   
   
 
 

 Koudrine : perspectives pour les finances russes :

 

Alexeï Koudrine ministre des Finances

Après la démission théâtrale d’Alexeï Koudrine du poste de ministre des Finances, Le Courrier de Russie s’est efforcé de dresser le bilan de celui qui a tenu les cordons de la bourse du pays pendant plus d’une décennie. Deux économistes de renom, Sergueï Gouriev, recteur de la New Economic School à Moscou et Alexander Nekipelov, économiste et vice-directeur de l’académie russe des Sciences, se sont livrés au jeu des questions-réponses sur des problématiques ciblées.

 

 

 

 

 


Koudrine et la politique fiscale :

 

Sergueï Gouriev (SG) : La politique fiscale mise en œuvre par Koudrine dans les années 2000 a eu des effets extrêmement positifs. La baisse du taux d’imposition, ramené à un taux unique de 13%, a permis de réduire la part de l’économie souterraine en Russie. Les personnes physiques aussi bien que morales se sont mises à déclarer leurs revenus largement plus que dans le passé. S’agissant des entreprises du secteur pétro-gazier, les taxes sur l’extraction et les exportations qu’a instaurées Alexeï Koudrine se sont avérées très utiles pour remettre la main sur la manne pétrolière car elles limitaient fortement les possibilités de fraude.

 

 

 

 

Alexander Nekipelov (AN) : Le bilan d’Alexeï Koudrine en matière de fiscalité est positif. Le système de taxation qu’il a mis en place a permis de générer des flux financiers importants pour le budget de l’État alors que dans les années 90, les entreprises pétrolières, par exemple, gardaient pour elles l’intégralité des surprofits générés par leur activité. Je n’ai pas de reproche à lui faire sur ce point. En revanche, sans remettre en question les compétences de Koudrine, je discuterai plutôt l’orientation libérale de sa politique financière et monétaire. Le rôle de l’État dans l’économie a été considérablement réduit sous ses mandats. Le niveau des dépenses publiques, État central plus régions, représente aujourd’hui 35% à 37% du PIB : c’est très inférieur aux montants investis dans les autres pays de la CEI ou même de l’Union européenne, où les pays les plus libéraux ne consacrent jamais moins de 40% du PIB aux dépenses publiques.

 

 Koudrine et le fonds de stabilisation :

SG : À mon sens, un fonds de stabilisation doit être divisé en deux. Et Alexeï Koudrine a bien fait de partager le fonds de stabilisation en un fonds de réserve et un fonds du bien-être national. Le premier assure des réserves utilisables à court terme, pour pouvoir réagir à des situations de crise et le second doit être investi en actifs générant des rendements à long terme, qui permettront de financer les retraites. Avec ce système, lors de la Grande récession de 2008, l’État a pu prêter de l’argent aux banques qui connaissaient des problèmes de liquidités et ces dernières ont depuis remboursé l’intégralité de ces prêts. Le problème, c’est que l’État dépense trop. En 2005, le budget de l’État russe était à l’équilibre avec un baril de pétrole aux environs de 50 dollars. Aujourd’hui, ce même baril doit être à 125 dollars pour que le budget soit équilibré. Les dépenses sont hors de contrôle. Même si l’État essaie de relancer l’économie, la corruption engloutit l’essentiel des sommes investies.

AN : Alexeï Koudrine a effectivement démontré sa flexibilité en divisant le fonds de stabilisation en deux. Même s’ils ne l’ont jamais dit, la banque centrale de Russie et le gouvernement ont pris une décision originale au moment de la dernière crise financière mondiale. La banque s’est concentrée sur l’achat de devises et a produit des roubles pour contrer l’inflation pendant que le gouvernement, de son côté, faisait sortir ces roubles du circuit économique en prélevant des impôts qui alimentaient des fonds que je qualifie de « stérilisation ». Cette politique s’est avérée efficace pour réguler le cours du rouble et contrôler l’inflation. La banque centrale a augmenté ses réserves et le gouvernement a pu accroître les avoirs du fonds de stabilisation. À cette période, le gouvernement n’a pas voulu d’une politique de relance et je suis d’accord sur ce point. On ne peut pas retirer des roubles du marché intérieur pour freiner l’inflation d’un côté et, de l’autre, en réinjecter. Mais on aurait pu, par exemple, créer une structure financière ou mandater un organisme existant pour racheter à la banque centrale ses excès de devises et investir cet argent dans des domaines liés à la technologie en attirant des compagnies étrangères. Je suis certain que les pays de l’Union européenne auraient été disposés à exporter leurs technologies en Russie. Le seul argument que le gouvernement a opposé aux partisans d’une telle idée à l’époque consistait à dire que des projets d’une telle nature n’existaient pas en Russie. Pourtant, lors de cette crise, l’Etat a dû soutenir des banques qui avaient emprunté à l’étranger des montants équivalents aux réserves de devises de la banque centrale pour financer l’activité économique. Ce qui prouve bien qu’il y avait des projets industriels à soutenir et qu’au final, cela a coûté très cher à l’Etat puisqu’il a dû puiser dans ses réserves pour éviter l’effondrement du système.

 Koudrine et la politique sociale

SG : La politique de Koudrine a permis de limiter les dégâts pendant la dernière crise financière mais la Russie doit faire plus. Elle doit offrir des retraites dignes de ce nom et une réforme du système est indispensable pour éviter sa faillite. Les gens ne peuvent pas continuer à partir en retraite à 55 et 60 ans pour la simple et bonne raison qu’il n’y a plus assez d’argent dans les caisses. L’allongement de l’âge de la retraite est inévitable, même si Vladimir Poutine a promis le contraire. Les jeunes doivent être contraints de cotiser à un fonds de pension et l’État pourrait jouer un rôle incitatif en subventionnant par exemple ceux qui font l’effort de cotiser pour leur retraite. Enfin, l’État devra payer pour la retraite des pauvres. D’autres moyens existent, enfin, pour trouver de l’argent : couper dans les dépenses militaires, lutter contre la corruption afin de favoriser les flux d’investissement et le paiement des impôts ou encore privatiser, même s’il convient d’attendre un peu compte tenu de la volatilité actuelle des marchés financiers.

AN : Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais par exemple, l’augmentation pouvant aller jusqu’à 5 ans de l’âge de la retraite proposée par Alexeï Koudrine, me semble être une décision tout à fait juste. Comment faire autrement lorsque l’on n’a plus d’argent… Il faut aussi proposer des crédits publics pour financer l’importation de technologies, car l’État doit jouer un rôle majeur dans la santé ou l’éducation. Dans ce domaine, que je suis de près de par mes fonctions, nous ne sommes pas encore au niveau de l’Union européenne mais nous progressons, même si les fonds alloués à l’éducation ne sont pas toujours bien utilisés.

 Politique économique et volonté politique

SG : Une bonne politique n’est pas forcément bonne pour les politiques. Les hommes politiques doivent faire ce qu’il faut pour rester au pouvoir. Pourquoi la politique budgétaire est-elle restrictive, alors que l’on pourrait parfaitement diminuer les dépenses militaires et procéder à des privatisations, à l’exception bien sur des domaines « sensibles » ? C’est parce qu’en touchant au budget, le pouvoir exécutif touche à sa base électorale. Moins de corruption et davantage de compétition ne sont pas non plus des facteurs qui aident les autorités à se maintenir au pouvoir. C’est pourquoi je pense que le gouvernement a défini ses priorités de manière consciente, même si cela peut mal finir. La corruption est la source de tous les problèmes et, parce qu’elle plus élevée qu’il y a dix ans, j’estime que le gouvernement a failli.

AN : On parle d’une « malédiction » des matières premières. Nous souffrons moins d’une dépendance à leur égard que d’une incapacité à utiliser efficacement les revenus qu’elles génèrent. Le politique doit donc trouver des mécanismes permettant de réinjecter ces revenus dans l’économie réelle pour espérer, dans l’avenir, s’émanciper de la rente des matières premières.

Les réformes qui attendent le successeur de Koudrine :


SG : Je pense qu’il faut d’abord réformer le système de taxation des entreprises actives dans le secteur pétro-gazier. Les prélèvements dépendent du cours du dollar et, compte tenu de la forte dépréciation du billet vert, une modification sur ce point pourrait considérablement améliorer les finances du budget fédéral. De plus, les taxes actuelles n’incitent pas les entreprises du secteur pétro-gazier à investir dans la modernisation de leurs infrastructures. Une taxation plus importante du tabac et de l’alcool figure également au nombre des mesures à prendre. Il faut d’autre part commencer à taxer véritablement la propriété privée, ce qui n’est pas encore le cas mais devrait le devenir bientôt. On doit poursuivre la réforme des charges sociales des entreprises, même si pour l’instant le gouvernement fait fausse route. Alexeï Koudrine était une personnalité connue et respectée, au poids politique important. Ce n’est pas le cas de son successeur qui, pour défendre la prochaine mouture triennale du budget, devra avoir acquis davantage de force sur le plan politique, pour autant qu’il reste en poste.

AN : L’État doit s’impliquer davantage dans la relance de l’économie. Au début des années 1990, j’étais au nombre de ceux qui s’opposaient à la privatisation des entreprises publiques motivée par le seul argument que la gestion étatique était mauvaise. L’ancien système était devenu incompatible avec le nouveau et il fallait laisser faire le marché, disaient nos adversaires. J’estimais pour ma part que l’État devait mener une politique sociale et industrielle afin d’adoucir les effets de la thérapie de choc. Ce désengagement de l’État nous a fait perdre notre savoir-faire dans la production des hautes technologies. Pourtant, dès la fin des années 1990, l’État a repris le contrôle des entreprises qu’il avait privatisées et, dans les années 2000, on a vu émerger de nombreux partenariats privé-public (PPP) pour relancer la production de hautes technologies.

 

 
 
 
 
 

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