Le Bilan Poutine : le regard d’un médecin :
Vladimir a 34 ans. Médecin à Krasnodar, il dispense des soins dans une clinique privée spécialisée dans l’oto-rhino-laryngologie. Ayant d’abord travaillé dans une clinique publique jusqu’en 2007, il nous explique pourquoi le secteur s’est détérioré à la chute de l’URSS et quels sont les avantages indéniables des cliniques privées aujourd’hui. Issu d’une lignée de médecins, il a vu évoluer la santé publique depuis le milieu des années 90.
Chiffres clés |
Population totale |
143 millions d’habitants |
Population rurale |
37,5 millions d’habitants |
Espérance de vie moyenne pour les hommes |
63 ans |
Espérance de vie moyenne pour les femmes |
75 ans |
Naissances |
1 789 600 (+1,6 % par rapport à 2009) |
Taux de fécondite |
1,59 enfant par femme |
Taux de mortalité infantile |
7,5/1 000 (–7,4 % par rapport à 2009) |
Mortalité pour 100 000 habitants : |
par alcoolisme |
10,1 (–32,6 % par rapport à 2009) |
par tuberculose |
15,1 (–10,1 % par rapport à 2009) |
par maladies cardio-vasculaires |
415,93 (en augmentation) |
par maladies cérébro-vasculaires |
260,9 |
par accidents de la route |
14 (+3,6 % par rapport à 2009) |
par cancer |
206,2 (–0,3 % par rapport à 2009) |
Source : ministère de la Santé et du Développement social de la fédération de Russie |
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Vladimir médecin à Krasnodar. |
Le Courrier de Russie : Quand avez-vous commencé votre carrière à l’hôpital ?
V. G : Après mon internat, j’ai commencé à travailler en 2002 comme « surdologue », ce qui équivaut au terme d’audiologiste en France : sauf qu’en Russie, à l’instar du Canada, ce métier est reconnu par l’Etat [traitement des troubles de la communication liés à l’audition, profession à la croisée des chemins entre le médecin ORL, l'audioprothésiste et l'orthophoniste,ndlr].
LCDR : Quelles étaient les conditions de travail dans le public à l’époque ?
V. G : J’ai travaillé dans un hôpital public réservé aux enfants jusqu’en 2007 : je ne gagnais à l’époque que 8000 roubles par mois, comme on dit, « un petit salaire, mais un salaire stable… ». Je travaillais alors 12 à 14h par jour : le matin à l’hôpital et le soir dans une clinique privée, plus quelques heures dans un laboratoire. J’arrivais grâce à mon deuxième travail à gagner environ 30 000 roubles par mois, soit 1000$ – c’était alors monnaie courante.
LCDR : Et maintenant ?
V. G : Je travaille désormais dans une clinique avec trois autres médecins : ma femme en est la directrice. Je prends en charge surtout les enfants, à cause de mes années passées en pédiatrie. Nous avons deux cabinets à Krasnodar.
LCDR : Quel est l’état du secteur public en Russie ?
V. G : Dans les années 90, nous avions de bons médecins hérités du système soviétique, mais le financement s’était écroulé et la qualité des soins s’était dégradée. Si vous alliez à l’hôpital alors, il vous fallait courir à la pharmacie et ramener le matériel de base : la boîte à gants, les antiseptiques… Dans le début des années 2000, la boîte à gants est arrivée disons… directement à l’hôpital, voire dans l’ambulance. Et en 2005, nous avions enfin l’équipement standard. Maintenant, plus personne ne court à la pharmacie.
LCDR : Même en région ?
V. G : Bien sûr, il est important de préciser que la région de Krasnodar est assez riche, et que c’est moins compliqué que dans des campagnes plus pauvres -et sans gaz !, notamment en Russie centrale. Mais tout de même, les grands centres médicaux « relais » sont équipés, c’est une certitude, en grande partie grâce au programme national Zdorovie de 2005. A partir de 2006, certaines demandes d’appareils médicaux « spéciaux » ont même été satisfaites et les bâtiments ont été rénovés.
LCDR : A quelle échelle ?
V. G : Ce n’est toujours pas le grand luxe… Sauf qu’avant nous posions des bâches sur les murs pour ne pas que la peinture s’effrite sur les patients en pleine opération. Tout ceci n’arrive plus du tout, il y a eu de nombreux travaux en 2005, qui auraient dû d’ailleurs être faits depuis les années 50. L’investissement dans le secteur sous Poutine a été réellement important et même pendant la crise, nos financements ont été augmentés. Bon, ce n’est pas encore le standard européen mais…
LCDR : Et la corruption, qu’en est-il ? On dit souvent que pour être sauvé, il faut payer…
V. G : Beaucoup de gens parlent de pots-de-vin exigés par les médecins. Moi personnellement je n’ai jamais été confronté à cette pratique, quel que soit l’endroit où j’ai travaillé. Les salaires progressent très lentement – aujourd’hui un médecin dans le public gagne rarement plus de 10 000 roubles par mois et les patients pensent encore que c’est à eux de les dédommager.
LCDR : C’est-à-dire ?
V. G : Dans les années 90, on continuait de faire comme sous l’Union soviétique : les gens « remerciaient » le médecin. La médecine était gratuite, comme maintenant, mais il était communément admis de laisser un peu d’argent, on ne pouvait pas vraiment aller chez le médecin gratuitement. Il ne s’agissait pas d’un pot-de-vin, le médecin ne réclamait jamais. C’était une sorte de rituel établi, et les patients se basaient sur les tarifs des cliniques privées : cependant, il n’y avait aucune exigence concernant le montant. Ainsi, le médecin doublait son salaire et c’était considéré comme normal, même s’il survivait clairement sur le compte des malades.
LCDR : Cette habitude a disparu ?
V. G : Presque entièrement, oui. Après l’arrivée des nouveaux gouverneurs il y a quelques années, les chefs de clinique ont été chassés et remplacés par des gens qui n’étaient pas forcément médecins, mais plutôt des « connaissances » haut placées. Une volonté de « faire de l’ordre » est née avec des méthodes assez brutales. La direction, pour lutter contre la petite corruption, voulait assurer la gratuité des services médicaux : il y a eu une vraie propagande afin de faire cesser cette habitude, qui insistait sur le fait que les soins devaient être entièrement gratuits. On disait aux patients que s’ils avaient un conflit avec le médecin, on leur donnerait automatiquement raison et que ce dernier serait puni. Evidemment, les revenus des médecins ont commencé à chuter.
LCDR : Et ensuite ?
V. G : Les bons spécialistes, les meilleurs en fait, ont commencé à partir du secteur public. Certains restaient à mi-temps afin d’attirer plus de patients dans le privé… mais du coup, la masse de travail dans le public a plus que doublé.
LCDR : Et vous, pourquoi êtes-vous parti ?
V. G : J’étais passé de 15 à 40 patients, je n’avais plus le temps de réfléchir. J’ai commencé à faire des erreurs, j’étais devenu désagréable, je n’avais plus le temps de manger, je ne supportais même plus mes patients… J’avais un « avenir assuré » en tant que médecin, mais physiquement, ce n’était plus possible. Je suis parti aussi.
LCDR : Y-a-t il des problèmes de compétences chez les médecins russes à votre avis ?
V. G : Oui. Déjà, nous avons tous des capacités plus ou moins élevées : mais en plus, la formation russe suit toujours les principes soviétiques, qui étaient bons mais qui n’ont pas évolué. On avait une approche scientifique.
LCDR : C’est-à-dire ?
V. G : Le médecin avait une grande liberté autant dans le diagnostic que le traitement du malade. Donc il pouvait être soit très bon, mais aussi parfois très mauvais. Il n’y avait pas comme en Occident des « standards » moyens où l’on ne réalise pas de vraie prouesse scientifique, mais où l’on sait soigner de manière générale ! Vous savez, pour un médecin, 90% du travail est assez ordinaire : symptômes/diagnostic/soins. Il suffit dans la plupart des cas de suivre une procédure, c’est très mécanique. Mais cette procédure manque en Russie justement. Les gens sont des exécuteurs s’ils ont des standards, ils font moins d’erreurs.
LCDR : N’y-a-t-il pas de projet de loi pour palier à ce manque de procédures ?
V. G : Si, et elle est en train d’être révisée par le docteur Rochal [Docteur en médecine, Héros national russe et Prix Nobel Ludwig en 2010, ndlr]. Elle comporte de bonnes idées mais n’est pas parfaite. De toute façon, la Russie est un pays très libre, chacun fait ce qu’il veut, et les lois sont éphémères…
LCDR : Qu’en est-il du secteur privé ?
V. G : La qualité ne va cesser d’être améliorée, c’est évident. Avant, on payait des pots-de-vin pour tout : obtenir une licence pour ouvrir un cabinet, avoir des certificats de conformité… Maintenant, ça coûte moins cher de suivre les règles que d’acheter de faux certificats, alors les gens respectent les normes en vigueur. Le niveau de corruption a énormément baissé depuis 10 ans. On peut dire avec fierté que 99,9% des centres médicaux « illégaux » sont soit morts soit entrés dans la légalité. Et nous avons aussi le même équipement qu’ailleurs, qui correspondent à des standards européens.
LCDR : Quelle est votre opinion sur Poutine ?
V. G : Je ne suis pas « contre Poutine ». Je vais, le 4 mars, voter pour Russie Unie comme je l’ai toujours fait. Je note certaines limites dans la compréhension de la situation actuelle par Poutine, et je n’aime pas certaines de ses démarches, mais je suis pour que l’on suive la voie « évolutionnaire » et non pas « révolutionnaire » en Russie.
Le salaire moyen d’un médecin en 2011 était de 15 000 roubles par mois.L’investissement gouvernemental dans le domaine de la santé a été multiplié par 6 depuis 2000, ce qui représente environ 5% de son PIB. Aujourd’hui, les cliniques privées ne représentent que 5% des établissements de santé en Russie.
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